La mort numérique : un champ qui reste à organiser

La mort numérique : un champ qui reste à organiser

Article publié par Senioractu.com le 20/05/2021

Aujourd’hui, on estime que près de 58 millions de Français ont une existence numérique. Instagram, Facebook, Twitter, blogs… Près de 40 millions de nos concitoyens utilisent les réseaux sociaux avec

des comptes détenus via des pseudonymes ou des avatars. Oui mais que se passe-t-il après la mort ? Comment effacer et faire disparaître sa vie numérique si on le souhaite ? Quel droit pour les héritiers ? Éléments de réponse autour de la mort numérique.

Rachel Dupuis-Bernard, notaire à Gray et présidente de la 1ére commission du Congrès des notaires l’affirme : « La mort physique est aujourd’hui simple à traiter en droit. En revanche, personne ne peut dire à quoi correspond la mort numérique ».

Régie par les dispositions générales de la Loi Informatique et Liberté, la vie numérique, les données personnelles d’un individu sur Internet, sont considérées comme un tout.

« Vous pouvez prendre des dispositions pour qu’après votre mort, l’ensemble de vos données personnelles, l’ensemble de vos comptes disparaissent », explique Rachel Dupuis-Bernard, « c’est tout ou rien ! ».

De fait, compte-tenu de la législation actuelle, il est impossible de faire disparaître son compte Instagram, et dans le même temps de conserver ses blogs à titre posthume.

« Soit, vous choisissez de tout faire disparaître, soit vous choisissez de tout conserver. Il n’y a pas de juste milieu. Ce que l’on appelle les dispositions particulières ne sont pas prévues par la loi », regrette la notaire.

« Il serait donc souhaitable de changer les dispositions de la Loi Informatique et Liberté pour permettre aux personnes d’avoir le choix », avance-t-elle.

Question corolaire, celle des héritiers. Actuellement, leur droit de regard sur l’héritage numérique d’un défunt n’existe pas. Et le notaire de citer un exemple : « vous vivez en concubinage depuis trente ans, est-ce que cette personne est considérée comme héritière aux yeux de la Loi Informatique et Liberté ? Il n’y a rien aujourd’hui sur ce sujet », or, constate-telle, si ces questions de succession numérique restent encore marginales dans les études, la profession en est sûre, c’est un mouvement qui va monter en puissance.

La proposition de la présidente de la 1ère commission est « de mettre de la clarté dans ces sujets. Aujourd’hui, nous, notaires, nous naviguons à vue, dans une sorte de flou artistique ».

Et, dans ce brouillard, la profession s’interroge sur les moyens dont elle disposera pour gérer la mort numérique de la même façon qu’elle gère déjà les successions au quotidien. Peut-on imaginer que les notaires soient dotés de moyens particuliers et dédiés pour effacer la vie numérique d’une personne disparue ?

« Oui », répond Rachel Dupuis-Bernard qui nuance, « le vrai sujet est technique et tourne autour de l’accès aux comptes ». En effet, comment avoir accès à des comptes, à des données qui sont protégés par des mots de passe, lesquels, par essence, sont personnels et peuvent disparaître avec leur détenteur ?

Deux solutions se dessinent. La première consisterait à imposer aux entreprises numériques, de créer des mots de passe temporaires afin que le notaire puisse accéder aux comptes de son client défunt et effacer ses traces.

« Sur le papier, c’est une bonne idée, mais imposer une telle obligation à l’ensemble des entreprises peut être très compliqué et se révéler finalement assez peu pertinent », reconnaît Me Depuis-Bernard. La deuxième piste de solution serait que les notaires proposent à leurs clients des coffres forts numériques dans lesquels seraient déposé l’ensemble des données personnelles.

Ce coffre serait ouvert après le décès par le notaire pour procéder à l’effacement des comptes sur le Net. « Nous proposons déjà des coffres forts numériques », dit la notaire, « il faudrait les adapter techniquement, ce qui est possible. La question est faut-il des modifications législatives pour que l’on puisse en exploiter le contenu ? ».

Et Rachel Dupuis-Bernard de concéder : « La question se pose. Il appartient au Congrès des notaires de France de réfléchir, de sensibiliser le législateur sur ces sujets de société et du quotidien et pourquoi pas de lui faire des propositions de modification de la loi dans ce sens ».